Si la connaissance crée parfois des problèmes, ce n'est pas l'ignorance qui permet de les résoudre
Le changement climatique menace la biodiversité : une étude majeure tire la sonnette d’alarme
Bien que l’on puisse aisément imaginer que le réchauffement climatique représente une menace croissante pour la biodiversité mondiale, la quantifier est beaucoup plus complexe. Une nouvelle méta-analyse d’envergure parue dans Science, synthétisant 485 études et plus de 5,5 millions de projections, révèle l’ampleur du défi qui nous attend.

Un risque qui s’accélère avec la température

À l’heure actuelle, avec une hausse de 1,3°C par rapport à l’ère préindustrielle, 1,6% des espèces sont menacées d’extinction (160 000 espèces, en supposant un total de 10 millions d’espèces). Ce chiffre pourrait grimper dramatiquement si nous ne parvenons pas à limiter le réchauffement:
Scénario | Hausse de température | % d’espèces menacées | Nombre d’espèces* |
---|---|---|---|
SSP1-1.9 (Accord de Paris) | 1,5°C | 1,8% | 180 000 |
SSP1-2.6 | 2,0°C | 2,7% | 270 000 |
SSP2-4.5 (Engagements actuels) | 2,7°C | 5,0% | 500 000 |
SSP3-7.0 | 4,3°C | 14,9% | 1 490 000 |
SSP5-8.5 (Pire scénario) | 5,4°C | 29,7% | 2 970 000 |
*Sur une estimation de 10 millions d’espèces totales
Des écosystèmes particulièrement vulnérables
Certains milieux naturels sont plus sensibles que d’autres face à cette menace. Les espèces vivant dans les montagnes sont les plus exposées. En effet, ces espèces se retrouvent piégées au sommet des montagnes, sans possibilité de migrer plus haut pour retrouver des conditions climatiques favorables.
Les espèces insulaires et d’eau douce sont également très vulnérables. Les amphibiens apparaissent comme le groupe d’animaux le plus menacé.
Des extinctions déjà observées
Le changement climatique n’est pas une menace théorique : 19 extinctions lui ont déjà été partiellement attribuées depuis les années 1960. Parmi les espèces disparues, on trouve notamment :
- Le rat Bramble Cay, victime de la montée des eaux
- Plusieurs oiseaux d’Hawaï, touchés par l’expansion des maladies aviaires en altitude
- Des amphibiens affectés par des maladies favorisées par les changements climatiques
Une course contre la montre
Cette étude souligne l’urgence d’agir sur deux fronts : la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la protection ciblée des espèces les plus vulnérables. Les efforts de conservation doivent se concentrer en priorité sur :
- Les amphibiens
- Les espèces des montagnes, des îles et des écosystèmes d’eau douce
- Les espèces à faible capacité de dispersion
- Les régions d’Amérique du Sud, d’Australie et de Nouvelle-Zélande
Qu’apporte de plus cette étude ?
Ampleur de l’analyse
- Synthèse de 485 études et plus de 5,5 millions de projections individuelles
- Triple le nombre d’études par rapport aux évaluations précédentes
- Intègre le travail de 1425 scientifiques sur trois décennies
Amélioration de la précision
- Réduction de l’incertitude jusqu’à 50%, particulièrement pour les projections à hautes températures
- Meilleure représentation des régions sous-analysées comme l’Asie et l’Afrique
- Intégration de modèles plus sophistiqués prenant en compte la sensibilité et l’adaptabilité des espèces
Compréhension des mécanismes

- Identification précise des facteurs influençant les risques d’extinction : géographie, type d’écosystème, approche de modélisation
- Mise en évidence de l’importance croissante des interactions entre espèces dans les modèles récents
Les limites de cette étude
Biais d’échantillonnage
- Les études sont majoritairement concentrées en Amérique du Nord et en Europe (44% des études)
- Les données sont biaisées vers les vertébrés et sous-estiment probablement le nombre réel d’extinctions
- Certaines espèces n’ont jamais été découvertes ou décrites, ce qui empêche leur prise en compte
Incertitudes temporelles (Dette d’extinction)
- Il existe un décalage important entre l’impact des menaces et l’extinction effective des espèces
- Cette dette d’extinction peut prendre de quelques années à des millénaires selon les espèces
- Il est difficile de prédire avec précision ces délais d’extinction
Complexité des interactions et Menaces multiples
- L’étude ne permet pas de bien comprendre quand le changement d’utilisation des terres agit en synergie avec le changement climatique
- Pour la plupart des extinctions observées, le changement climatique joue un rôle interactif avec d’autres menaces comme la perte d’habitat et les espèces invasives
- Il est difficile de déterminer avec certitude la contribution exacte du changement climatique par rapport aux autres facteurs de menace
L’objectif de l’accord de paris déjà obsolète ?

Alors que l’objectif le plus ambitieux de l’Accord de Paris, signé à la COP21 en 2015, appelait à « contenir le réchauffement bien en-dessous de 2°C et à poursuivre les efforts pour le limiter à 1,5°C. », 2024 devrait être la première année à dépasser durablement le seuil de +1,5°C.
Projections futures

Selon les scénarios du GIEC
- Scénario optimiste (SSP1-1.9 et SSP1-2.6) : Hausse limitée à moins de 2°C d’ici 2100
- Scénario intermédiaire (SSP2-4.5) : +2,7°C d’ici 2100
- Scénarios pessimistes : SSP3-7.0 : +3,6°C d’ici 2100, SSP5-8.5 : +4,4°C d’ici 2100
Impact pour la France
La France se réchauffe plus rapidement que la moyenne mondiale. Les projections officielles (TRACC) prévoient :
- 2030 : +2°C
- 2050 : +2,7°C
- 2100 : +4°C
Précipitations
- Augmentation annuelle : +4%
- Baisse estivale : -8% à -19% selon les scénarios
Niveau des mers d’ici 2100
- Scénario optimiste : +0,28 à 0,55 mètre
- Scénario pessimiste : +0,63 à 1,02 mètre
Les COP s’enchainent et déçoivent toujours
La COP29 s’est tenue à Bakou, en Azerbaïdjan, du 11 au 24 novembre 2024, dans un contexte controversé.
Les promesses
- Les pays développés se sont engagés à verser « au moins 300 milliards de dollars par an » d’ici 2035« , ce qui est le triple par rapport à l’objectif précédent
- Accord sur les marchés carbone après une décennie de négociations
- Clarification sur les échanges de crédits carbone entre pays
- Engagement pour de nouveaux plans d’action climatique nationaux d’ici février 2025
Mais au delà de ces belles annonces, tout n’a pas été rose, loin de là:
Controverses autour du pays hôte

Le président azerbaïdjanais Ilham Aliev a fait cette déclaration lors de l’ouverture de la COP29 à Bakou, le 12 novembre 2024:
Il a ensuite développé sa pensée en déclarant : « Toute ressource naturelle, pétrole, gaz, vent, solaire, or, argent, cuivre… Ce sont des ressources naturelles et on ne doit pas reprocher aux pays d’en avoir et de les fournir aux marchés, car les marchés en ont besoin »
Pour justifier sa position, il a souligné que son pays :
- Représente seulement 0,7% de la production mondiale de pétrole
- Produit 0,9% du gaz mondial
- S’engage à être « un farouche défenseur d’une transition verte » tout en restant « réaliste »
Cette déclaration intervient alors que l’Azerbaïdjan est le deuxième pays producteur d’hydrocarbures consécutif à présider une COP, après les Émirats arabes unis en 2023.
Polémiques politiques
- Tensions avec la France suite aux déclarations du président azerbaïdjanais
- Arrestations de militants environnementaux
- Harcèlement de parlementaires américains à Bakou
Critiques sur la gestion
- L’Allemagne a dénoncé la proximité de l’Azerbaïdjan avec les pays pétroliers
- Protestation de délégués de pays en développement qui ont quitté une réunion, s’estimant mal consultés
- Absence de leadership critiquée par plusieurs pays dont la France
Autres Points négatifs
- Absence d’accord sur l’atténuation du changement climatique
- Disparition des mentions explicites à la transition hors des énergies fossiles
- Montant jugé « trop faible, trop tardif et trop ambigu » par les pays en développement
Les calculs actuels de l’ONU indiquent que, sans changement majeur des politiques climatiques, nous nous dirigeons, au niveau mondial, vers un réchauffement « catastrophique » de +3,1°C au cours du siècle. Même en tenant compte de toutes les promesses actuelles des États, le réchauffement atteindrait +2,6°C.
Lien de l’etude: https://www.science.org/doi/10.1126/science.adp4461